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Le Monstre de Nuit

Le Monstre de Nuit

Aimé Jean GBETE

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Je pouvais encore courir avant que cette cloche ne sonne de nouveau, mais hélas, je suis à court de souffle. Je sais qu'il ne va pas s'arrêter. Certes, je pourrais tout raconter, mais je suis sous serment ; le jour où je l'ouvrirai, je serai certainement l'amante de l'obscurité lointaine. Maman a essayé de nous en épargner, et ça lui a coûté ses maux. Elle est condamnée à nous regarder sans pouvoir lever son petit doigt ni dire un mot. Elena a eu dix-huit ans la semaine passée. Je sais. Dans une famille aussi normale, c'est une joie de fêter le dix-huitième anniversaire de son enfant. J'ai peur, et cette peur n'est point la mienne.

Chapter 1 Le Monstre de Nuit Tome 1

Il y a de cela dix ans, nous vivions encore ensemble sans bruit ni dispute. On pourrait décrire comme une pluie de malheur ce qui nous est arrivé. À la veille de notre malheur à tous, nous avons organisé une fête pour honorer la mémoire de nos ancêtres. Je me suis réveillé ce matin-là pour prendre de l'eau au puits comme d'habitude, ouf ! À ma grande surprise, le puits était sec comme une jarre vide depuis près de huit mois. Je n'étais pas le seul, même ceux qui étaient tôt dans leurs champs ont remarqué que les champs étaient désertés.

Puits vides, champs désertés, les arbres qui laissaient tomber les fruits mûrs ou pas, plus rien dans le village. Sept jours et sept nuits déjà, mais toujours rien. Nous avons déjà épuisé toutes nos réserves, il restait seulement quelques jarres d'eau à boire dans chaque concession et au plus quelques greniers de récolte pour ravitailler un village d'environ cent personnes. Mon père est le roi du village. Il était à la fois un chef et un prince puisque le village a été fondé par mon grand-père qui était à la recherche d'une terre fertile, habitable et donnant un accès facile à l'eau, une source de vie. Raison pour laquelle le village porte le nom « Sifar ». Mon père avait cultivé l'année dernière plus de vingt hectares de mil, vingt hectares de riz. On ne pouvait donner aux plus que deux poignées de riz ou de mil à ceux qui n'ont rien. J'ai un petit frère Karim et une sœur Houéfa. Karim fatigue à force de vouloir être folâtre. Ma mère, appelée Fifa, signifie « sage-femme » en Fon. Pour trouver une solution à cette malédiction qui battait durement son plein sur le village, mon père, surnommé Nougnouintô par les villageois, réunit les hommes. Cette réunion ne concernait que les sages en présence du grand prêtre Houffon. Pour le village, Houffon est le messager des dieux sur leur terre. Toute parole sortie de la bouche du grand prêtre est respectée à la lettre, sans aucune contradiction. Pour les jeunes de ma cohorte, Houffon abusait de sa responsabilité et de son rôle. Entre nous, c'est un pochard. Le message de Houffon pour le village était :

-Avant la création de ce village qui porte le nom de Sifar, notre grand roi, notre souverain, avait signé un pacte avec le monstre de la nuit. Aujourd'hui, les dieux m'envoient vous transmettre ce message. L'heure est grave, le monstre de la nuit réclame ses offrandes. Alors pour mieux vivre dans ce village, nous devons lui rendre ses offrandes, dit Houffon.

- Nos récoltes sont mauvaises, nos bétails ne survivent plus à cette sécheresse et nous avons déjà presque épuisé toutes nos réserves, dit le roi.

-Nous n'avons pas le choix. Soit les offrandes, soit tout le village part en fumée, dit Houffon.

Cela fait déjà quatorze jours et quatorze nuits que nous sommes frappés par cette malédiction. Alors chacun est rentré chez lui pour bien réfléchir à la situation et aux mesures à prendre avant la toute dernière convocation de Houffon. Moi, je ne suis pas encore un brave homme, mais j'ai assisté discrètement à la réunion. J'ai 17 ans et je suis le porte-parole de ma cohorte, une organisation de jeunes gens de mon village. Notre mission à l'époque était de veiller sur les champs. Le lendemain matin, mon père réunit à nouveau les sages en présence de Houffon.

- Je tenais à ce que vous sachiez quelle est l'offrande demandée par les dieux de Sifar, dit Houffon.

À ces mots, les sages se questionnaient entre eux.

- Comme offrandes, les dieux de Sifar ont demandé sept jeunes filles n'ayant jamais connu d'homme « filles vierges », pas n'importe quelles filles, mais des filles provenant d'une classe sociale bien supérieure.

Les sages, sans oublier le chef de Sifar ne trouvaient plus de mot pour exprimer leurs sentiments. Je suis tombé de l'arbre qui me servait de cachette, on dirait un paresseux qui a loupé sa branche.

- Je n'ai pas fini, puisqu'à ces jeunes filles doivent s'ajouter sept bœufs, fit Houffon, et la cérémonie se déroulera à la source interdite.

Pendant que les sages et le roi réfléchissaient à leur nouveau problème, Houffon entonna l'une de ses chansons qui causaient la peur à son passage dans le village. J'ai couru rejoindre la cohorte pour leur faire part de la mauvaise nouvelle. Lors de notre rassemblement, nous avons voté pour objectif : sauver nos sœurs de cette tragédie. Mais quel sera le sort du village si nous empêchons la cérémonie d'avoir lieu ? Houffon a confirmé que la cérémonie se tiendra le jour du marché, c'est-à-dire dans trois jours, et que ce sera aussi le jour de la nouvelle lune. Nous avons donc une journée pour trouver un plan infaillible.

Tout compte fait, nous étions les élus pour réunir les bœufs, mais il fallait aussi trouver une belle cachette pour nos sœurs. Personnellement, je ne suis pas prêt à perdre Houéfa : ni aujourd'hui ni jamais. Houéfa est une sœur pas comme les autres. Je me rappelle que, depuis son enfance, j'étais le seul parmi nos parents à la coucher, lui raconter des contes et la bercer avec les douces mélodies que ma grand-mère m'avait apprises. Elle a toujours préféré ma compagnie à celle de nos parents. Il est donc hors de question qu'un malheur arrive. Deux jours avant la cérémonie, ce n'est pas beaucoup de temps.

Très vite, la cohorte a été divisée en deux groupes : l'un chargé de sillonner les troupeaux, l'autre de trouver une cachette. Le grenier de mon grand-père, abandonné au beau milieu du champ, dont moi seul connaissais l'existence, semblait idéal.

À l'intérieur de ce grenier, on avait l'impression d'être dans une chambre et un salon. C'était son grenier de réserve. Nous l'avons déplacé dans un endroit sûr pour y abriter nos sœurs.

Les jours passent, les heures s'écoulent et les minutes défilent. Aujourd'hui, c'est la veille ; difficile de fermer l'œil toute la nuit. Je suis dans de beaux draps, même les parents ont perdu le sommeil. Il vaut mieux avoir un bon sommeil qu'un beau lit. Le jour se lève ; les chants des oiseaux deviennent de plus en plus intenses. Plus je ferme les yeux, plus le sommeil s'éloigne de moi.

Le vent matinal battait son plein, alternant entre un froid intense et de grandes chaleurs. Au matin, un brouillard ténu s'attardait quelque temps aux abords des concessions, fumant doucement, comme à regret. Les cases étaient alors secouées de toux stridentes, et les courettes des maisons voyaient surgir tardivement les habitants grelottants. Le long des palissades en tiges de mil sec ou en lattes de bambou, des gamines vêtues de loques sortaient en se protégeant du vent glacial. Nos parents étaient toujours dans leurs chambres. Ma cohorte et moi avons profité de cet instant brumeux pour réveiller nos sœurs et les conduire dans le grenier de protection, sans risquer de nombreuses questions de leur part.

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