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La Maison de l'Ogre

La Maison de l'Ogre

Alphonse Karr

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La Maison de l'Ogre by Alphonse Karr

Chapter 1 LA STATUE DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU

Il est d'usage constant, pour reconna?tre le génie et le talent, et rendre un légitime et public hommage à ceux qui en ont porté le faix et en ont subi les conséquences, d'attendre que ceux-ci soient morts et que ?a ne puisse plus leur faire aucun plaisir.

Alexandre Dumas a sa statue, Balzac va avoir la sienne.-Or, j'ai vécu fraternellement avec le premier, familièrement avec le second, et je puis affirmer que bien des fois, pendant leur vie, ils auraient de grand c?ur cédé pour cinq louis leurs chances d'avoir une statue vingt ans après leur mort.

On a, l'autre jour, dressé la statue de Jean-Jacques Rousseau près du Panthéon; il y a eu musique, discours, etc.-M. Lockroy, ministre de l'instruction publique, s'est fait représenter par un de ses subalternes; qui diable peut représenter M. Lockroy, qui, lui, ne représente rien?-Du temps des rois, lorsque, pour rendre hommage à la mémoire d'un citoyen plus ou moins grand, plus ou moins célèbre, ils envoyaient leur voiture, selon un usage antique, suivre le convoi du mort, je m'étais permis de plaisanter ce cérémonial et de dire que c'était absolument comme si, moi qui n'ai pas de voiture, je faisais, derrière le corbillard, porter mes souliers sur un coussin.-Aujourd'hui, M. Lockroy et les autres,-car c'est eux qu'est les rois,-n'ont pas manqué de s'emparer de cette tradition.

Lorsque après la cérémonie-qui avait attiré beaucoup de monde comme tous les spectacles gratis, la foule se fut dissipée, beaucoup croyant que cette statue de Jean-Jacques était celle du distillateur Jacques,-la nuit tomba sur la ville,-le ciel était pur, la lune jetait sa douce et poétique clarté,-et il arriva quelque chose d'extraordinaire qui vaut la peine d'être raconté.

Tout le monde a lu l'histoire de cette statue de Memnon, à Thèbes en égypte, qui rendait des sons harmonieux lorsqu'elle était frappée des premiers rayons du soleil;-eh bien, la lune sur la statue de Jean-Jacques Rousseau produisit le même effet que le soleil sur celle de Memnon.

Ce n'était pas, du reste, la première fois qu'une statue parlait,-le souverain ma?tre, créateur des mondes, dans sa divine indulgence, a accepté tous les noms et tous les attributs sous lesquels les hommes ont imaginé de l'adorer, pourvu que sous ces noms on prêchat la vertu et la bonté,-peu lui a importé d'être appelé Indra, Jupiter, Ζευ? [Zeus], Thor, Jehovah, etc.; pourvu que le culte qu'on lui rendait tend?t à rendre les hommes meilleurs ou moins mauvais; aussi toutes les religions ont eu des temples dans lesquels descendait un Dieu, des statues qu'il animait et faisait parler rendant des oracles et faisant des prodiges,-depuis Teutatès jusqu'à cette douce, poétique et légendaire Marie, mère du Christ, dont les sanctuaires et les statues attirent encore tant de dévots et effectuent, dit-on, tant de miracles à Lorette, à Lourdes, à la Salette, au Laghetto, etc.

Donc, la statue de Jean-Jacques se mit à parler:

?Ah ?à! dit-elle, quelle singulière idée ont ces gens, de m'élever aujourd'hui une statue? Que signifie cette foule que j'ai toujours détestée,-cette musique, ces discours moins bons que la musique? Je crains de comprendre ce qui se passe-il ne me manque plus que cela! comme si je n'avais pas autrefois subi toutes les mauvaises chances de la vie!

?Non,-c'est bien cela, ils me mettent au nombre de leurs patrons,-mais c'est idiot!-ils n'ont donc pas lu mes livres? Qui? moi?-me compromettre avec leurs héros, leurs grands hommes, ces fous, ces coquins, ces imbéciles et ces monstres.

?Certes, si j'avais été vivant en 1793, j'aurais été par eux accroché à une lanterne, guillotiné ou massacré à l'Abbaye;-en 1871, j'aurais figuré parmi les otages assassinés.

?Moi! Jean-Jacques! avec ces gens-là! je ne le souffrirai pas.?

Et il se mit à réciter des passages de ses livres:

?N'ai-je pas dit d'avance que ce serait le comble de l'absurdité et de la folie de tenter d'établir la démocratie dans un pays comme la France?

?La démocratie ne convient qu'aux états petits et pauvres,-aux nations grandes et opulentes, la monarchie.? (Contrat social.)

?Que de conditions à réunir pour une démocratie! D'abord, un état très petit où le peuple soit facile à rassembler, où chaque citoyen puisse aisément conna?tre tous les autres;-une grande simplicité de m?urs, beaucoup d'égalité dans les rangs et dans les fortunes, peu ou pas de luxe.

?Il n'y a point de gouvernement aussi sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le gouvernement démocratique, parce qu'il n'en est aucun qui tende si fortement et si continuellement à changer de forme.? (Contrat social.)

Je viens de voir un joli exemple de la fa?on dont ces insensés, dont ces jobards trompés par des coquins entendent la république.

Cette élection d'un député,-cette population se partageant passionnément, haineusement entre un général tout à fait quelconque et un marchand de vin.

Ces journaux, ces affiches collées les unes sur les autres, augmentant l'épaisseur des murailles et diminuant la largeur des rues,-les deux partis se prétendant exclusivement amis du peuple-et dépensant trois cent mille francs à imprimer des mensonges et à en tapisser la ville,-un conseil municipal sacrifiant par deux fois, en un mois, une somme énorme à faire des ripailles de victuailles les plus chères:-et cela dans une ville où la statistique dénonce un indigent sur douze habitants!-combien, pendant qu'on employait tant d'argent à gater du papier, tant d'argent à s'empiffrer de patés de foies gras,-combien de gens se sont, ce jour-là, couchés sans souper,-ceux du moins qui avaient où se coucher.

Une jolie manière de faire des élections!

?Pour obtenir l'expression de la volonté générale, il faut qu'il n'y ait pas de sociétés partielles dans l'état, et que chaque citoyen n'opine que d'après lui-même;-que les citoyens, au moment des suffrages, n'aient entre eux aucune communication;-mais s'il se fait des associations partielles et des brigues, il n'y a plus autant de votants que d'hommes, mais seulement autant que d'associations.? (Contrat social.)

?Il faudrait donc, pendant la période électorale, suspendre toutes réunions, ne pas permettre aux journaux de discourir sur la politique et les élections, et c'est précisément le contraire que vous faites.

?Corrigez s'il se peut les abus de votre Constitution, mais ne méprisez pas celle qui vous fait ce que vous êtes.? (Gouvernement de Pologne.)

?Les peuples prenant pour la liberté une licence effrénée qui lui est opposée, leurs révolutions les livrent à des enj?leurs qui ne font qu'aggraver les choses.? (Origine de l'inégalité.)

?C'est surtout la grande antiquité des lois qui les rend saintes et vénérables, le peuple méprise bient?t celles qu'il voit changer tous les jours. Il ne devrait être permis à personne de proposer de nouvelles lois à sa fantaisie. C'est ce qui perdit les Athéniens à force d'innovations dangereuses favorisant des projets insensés ou mal con?us.? (Sur l'inégalité.)

?Je ne voudrais pas habiter une république de nouvelle institution, de peur que le gouvernement ne convienne pas aux nouveaux citoyens ou que les citoyens ne conviennent pas au nouveau gouvernement, l'état est fort exposé à être ébranlé et déchiré presque dès sa naissance.

?Il en est de la liberté comme de certains aliments solides et succulents, propres à nourrir et à fortifier les tempéraments robustes, mais qui ruinent et énervent les faibles, les délicats, qui, une fois accoutumés à des ma?tres, ne sont plus en état de s'en passer et ne font des révolutions que pour en changer.? (De l'inégalité.)

?Si la république vous donne plusieurs chefs, il vous faut supporter à la fois et leur tyrannie et leurs divisions.? (économie politique.)

?Si vous comparez le monarque au père de famille, la nature fait une multitude de bons pères de famille; mais, depuis l'existence du monde, la sagesse humaine n'a fait que bien peu de bons magistrats.? (économie politique.)

?La république est à la veille de se ruiner, sit?t que quelqu'un peut penser qu'il est beau de ne pas obéir aux lois.? (économie politique.)

Depuis que vous payez vos députés, en avez-vous obtenu d'une qualité supérieure, et ne pourriez-vous dire:

?Tous mes maux ne viennent que de ceux que je paye pour m'en garantir.? (économie politique.)

?Les peuples perdent le sens commun, non parce qu'ils sont ignorants, mais parce qu'ils ont la bêtise de croire savoir quelque chose.? (Réponse à M. Bondy.)

?Comment une multitude aveugle, qui souvent ne sait ce qu'elle veut parce qu'elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle d'elle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu'un système de législation?? (Contrat social.)

?Le plus actif des gouvernements est celui d'un seul.? (Contrat social.)

?Les Lacédémoniens n'avaient pas d'avocats.? (Lettre à M. Grimm.)

?Le luxe corrompt et le riche qui en jouit et le misérable qui le convoite.? (Au roi de Pologne.)

?Vous étiez à la direction d'un ma?tre, vous croyez être mieux en en ayant plusieurs, et il faut supporter à la fois et leur tyrannie et leurs divisions.? (économie politique.)

?Quelques hommes adroits, avec du crédit et une certaine faconde, sauront substituer aux intérêts du peuple leurs intérêts particuliers.? (économie politique.)

?Consulter la volonté générale, ressource impraticable dans un grand peuple.? (économie politique.)

?On ajoute édits sur édits, règlements sur règlements, et cela ne sert qu'à introduire de nouveaux abus sans corriger les anciens;-plus vous multipliez les lois, plus vous les rendez méprisables, et tous les surveillants que vous instituez ne sont que de nouveaux imposteurs destinés à partager avec les anciens, ou à faire leur pillage à part; les hommes les plus vils sont les plus accrédités; leur infamie éclate dans leurs dignités, et ils sont déshonorés par leurs honneurs.? (économie politique.)

?La plupart des peuples, ainsi que les hommes, ne sont flexibles que dans leur jeunesse.-Quand une fois les coutumes sont établies et les préjugés enracinés, c'est une entreprise dangereuse et vaine de vouloir les changer.? (Contrat social.)

?Il ne faut pas souffrir de capitale, il faut faire siéger le gouvernement alternativement dans chaque ville.? (Contrat social.)

?Les Romains n'accordaient pas à la populace l'honneur de porter les armes, il fallait avoir des foyers pour obtenir le droit de les défendre.? (Contrat social.)

?Dans les circonstances graves, on doit, pour décider, arriver le plus près possible de l'unanimité.? (Contrat social.)

?Vous avez appelé suffrage universel ?le triomphe d'une coterie?,-votre République votée à la majorité d'une voix,-peut-être celle d'un absent,-selon l'absurde et criminelle habitude que vous avez de permettre à un membre présent de voter pour un membre absent;-si bien que cette prétendue République consiste à mettre la moitié moins un des ?citoyens? sous le despotisme de la moitié plus un.

?Et vous appelez cela être en République!

?Je ne vous reconnais plus, ? Fran?ais! peuple autrefois si léger, si brave, si spirituel, si bienveillant, si poli, si galant, si gai, si sensé.

?Vous êtes devenus esclaves volontaires, crédules, aveugles, imbéciles, haineux, avides, cruels, grossiers, bêtes, ennuyés et ennuyeux;-la prétendue République vous a métamorphosés comme fit Circé des compagnons d'Ulysse.

?Et vous, les ma?tres, les soi-disant républicains, arlequins, polichinelles et pierrots qui, dans les lambeaux de pourpre du manteau royal, vous êtes taillé des carmagnoles et des bonnets rouges, pour vous déguiser qui en Robespierre, qui en Danton, qui en Marat ou en Père Duchesne, vous les effrontés bavards, les affamés, les pillards, laches, ignorants,-je vous défends de me déshonorer, de m'encanailler en me mettant au nombre de vos modèles, de vos ma?tres, des saints et des dieux de votre calendrier...

?Je...?

A ce moment un gros nuage passa sur la lune, et la statue, cessant d'être éclairée, cessa de parler et retomba dans le silence probablement pour toujours.

J'espérais qu'elle parlerait du scrutin de liste et du scrutin d'arrondissement;-mais je pensai que, à défaut d'elle, j'en sais assez long sur ce sujet, et que j'en puis parler moi-même.

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